Echec à Alger et réaction de la presse
rideau

Le bois de Boulogne est le plus grand parc d'Alger. Il s'étend sur un plateau au-dessus du palais d'Eté et domine la capitale de sa masse verdoyante. C'est la pampa, le Far West des gosses qui y jouent toute la journée, le dimanche le petit peuple d'Alger y pique-nique. Le soir venu c'est le rendez-vous des amoureux.
Zoubir Bouadjadj n'y attend pas sa dernière conquête. Il est venu s'installer sur un banc d'où il découvre le panorama extraordinaire qu'offrent Alger et sa baie qui scintille sous les rayons de la lune. Mais l'une des plus belles vues du monde ne peut cette nuit l'émouvoir. Puisqu'il n'a pu participer à l'attaque d'un objectif il veut au moins assister aux explosions, voir les premières flammes des incendies, les panaches de fumée qui vont s'élever sur la ville endormie.
Depuis dix minutes il scrute les lumières vacillantes de la ville, il écoute ses rumeurs. Rien, pas la moindre explosion. Pas la moindre flamme. Pourtant l'attentat aux pétroles Mory, les bombes contre l'usine à gaz doivent provoquer un joli feu d'artifice et les sirènes des voitures de pompiers devraient parvenir jusqu'à lui. Rien. La rumeur paisible de la ville endormie, troublée par un train qui passe... quelques voitures plus proches... et c'est tout.
A 1 h 30, Bouadjadj, démoralisé, rentre chez lui. Des mois de préparation, des dizaines de kilos d'explosifs fabriqués au prix de la vie des arti­ficiers, une plate-forme politique établie à grand-peine, des semaines d'efforts, d'inquiétude, tout cela pour venir passer trois quarts d'heure au bois de Boulogne, sur un banc, à contempler une ville désespérément calme. A l'énervement de l'attente a succédé l'abattement de l'échec. Car Zoubir Bouadjadj ne se fait pas d'illusions, les plans minutieusement préparés, les hommes entraînés, les bombes soigneusement dosées, tout cela a échoué. Lamentablement échoué.

hauteur d'alger en 1954
presse au lendemain de la toussain rouge

C'est essentiellement par la presse que la population avait appris l'insurrection. Le 1" novembre, jour férié, on n'avait pas beaucoup écouté la radio mais le 2 novembre tout le monde fut au courant. Tous les journaux titrèrent sur l'insurrection.Peu de texte, mais des photos parlantes, une carte impressionnante des lieux où s'étaient produits les attentats et les noms en caractère gras des sept morts (deux civils européens, trois militaires européens, deux civils musulmans) alertèrent l'opinion publique.
Pour dire vrai, les Européens ne s'affolèrent pas et si les éditions se vendirent mieux que d'habitude, c'était en raison de ce super fait divers que l'on annonçait à grand fracas. Les Algérois n'avaient rien entendu des bombes qui avaient explosé aux quatre coins de leur ville. Seuls les voisins des points stratégiques visés avaient entendu l'explosion d'un vague pétard. Ce ne pouvait être bien grave. En revanche, la simultanéité des attentats montrait clairement que cette manifestation était bien coordonnée, donc qu'il fallait se méfier. Mais ce n'était pas suffisant pour engendrer la panique. La population, ce 2 novembre 1954, fut loin de mesurer l'importance de ce qui se passait. Et puis la violence, le risque étaient monnaie courante dans le folklore pied-noir.
L'insécurité faisait partie depuis longtemps de la vie coloniale algérienne. S'il ne s'était rien passé depuis Sétif, c'est qu'on avait maté, qu'on avait ouvert l'oeil et qu'on avait contrôlé tous ces mouvements subversifs. La police, en 1950, cinq ans après Sétif, mettre en prison la plupart des meneurs. La faiblesse ne paie pas en Algérie, monsieur, tout le monde vous le dira. Le calme de la vie quotidienne n'avait rien de naturel pour l'Européen. Il était le résultat de précautions constantes qui étaient entrées dans les moeurs. Et que l'on traduisait par le célèbre : Desserrez un peu la vis... et vous verrez. Eh bien, on voyait. Sans plus.

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